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Industrie

Et si le luxe, c’était la pièce de 2 CV ?

Publié le 8 mars 2012

Par Frédéric Richard
9 min de lecture
Serge Dumonteil, directeur général de ADI Auto - Serge Dumonteil présente un étonnant parcours. Du commerce de la pièce à celui des VN, en passant par le marketing de marques généralistes puis d’autres beaucoup plus élitistes, cet ingénieur issu de l’Estaca a multiplié durant toute sa carrière les expériences dans le monde de l’automobile. En 2009, il reprend une petite PME spécialisée dans la commercialisation de pièces de 2 CV et de ses dérivées. Histoire du grand écart salutaire d’un homme passionné, aux inébranlables convictions humaines…
A 53 ans, Serge Dumonteil confie aimer travailler, avouant ne jamais songer à la retraite, un concept qui n’est en rien une finalité, selon lui.

Serge Dumonteil est originaire de Montargis (45). Après une formation d’ingénieur à l’Estaca, il débute sa carrière en 1985 comme ingénieur technique dans la société de travaux publics de son père. Deux ans plus tard, l’automobile lui ouvre les bras. Il entre chez Volkswagen et Audi à Villers-Cotterêts (02), où il prend en charge la gestion de l’après-vente et des pièces de rechange pour la région du Nord de la France. Le challenge se révèle rapidement excitant, puisque, à la même époque, la nouvelle distribution se met en ordre de marche, et les constructeurs doivent réagir. “Ce fut une période très enrichissante, puisqu’il nous fallait créer une véritable offre après-vente au sein du réseau. Nous avons ainsi travaillé sur les points service express, les carrosseries express…”, se souvient Serge Dumonteil, en évoquant des armes qui sont depuis devenues légion dans l’ensemble de la profession.

Japonaises et allemandes emblématiques

En 1991, Nissan Motor filialise en France, en rachetant son importateur dans l’Hexagone, Richard Nissan, détenu par Jean-Pierre Richard. Dans le cadre de cette opération, la marque japonaise fait appel à Serge Dumonteil pour l’accompagner dans le développement de son image après-vente sur le territoire, un domaine plutôt délaissé par les distributeurs de l’époque. Pour la remise à niveau, son équipe crée des outils de communication et de marketing à destination des concessionnaires, trouve des sources d’approvisionnement en pièces plus proches que celles venant du Japon… Bref, le responsable après-vente insuffle une nouvelle dynamique au sein de la marque ! La consécration intervient en 1995, date à laquelle Serge Dumonteil, fort de ses bons résultats, accède au marketing VP : il grimpe d’un étage au siège social de Nissan, à Trappes ! Goguenard, il raconte : “L’après-vente, mal considérée, était située au rez-de-chaussée, avec du linoléum au sol. Et plus l’on montait dans les étages, plus la moquette devenait épaisse.”
En charge notamment du lancement des Patrol GR (promotion des ventes, animation réseau, communication…), il bourlingue régulièrement dans les allées du salon de Val d’Isère. C’est là qu’il croise le chemin de Stéphane Roux, à l’époque responsable presse de Porsche France. En 1999, l’ouverture du poste de directeur marketing de la prestigieuse marque de Stuttgart arrive donc naturellement jusqu’à ses oreilles. Il saute sur l’occasion et obtient le précieux sésame, notamment grâce à son expérience dans le tout-terrain. Porsche travaille en effet sur le futur Cayenne, qui sortira en 2002…

Belles italiennes et répliques françaises

En 2004, le directeur marketing a des fourmis dans les jambes. Il rejoint Ferrari-Maserati West Europe (ex-Pozzi) pour prendre, là encore, la direction du marketing de la marque Maserati. L’homme est de nouveau séduit par le défi à relever. En effet, la marque est en plein renouveau, grâce au lancement prochain de la Quattroporte et de la GranTurismo…
En 2007, il quitte Maserati pour prendre les rênes du célèbre, mais confidentiel, constructeur PGO, dans le Sud de la France. Il obtient la charge de développer un réseau de concessions, qui ne verra jamais le jour en raison de divergences de points de vue avec les propriétaires de la société. Trois mois plus tard, il jette l’éponge, puis décide de se lancer dans le coaching commercial pour les équipes des constructeurs et remporte même de jolis contrats, avec Infiniti Europe par exemple. Mais, depuis des années, Serge Dumonteil nourrit le secret espoir de devenir entrepreneur, de monter sa propre structure. Sans idée, ses velléités végètent néanmoins. Un déficit de créativité qu’il tente d’expliquer : “Dans notre pays, dans notre culture, nous sommes formés à être des employés, et pas des patrons. Et ce, quel que soit notre niveau d’études. C’est vrai dans les écoles de commerce et également dans les écoles d’ingénieur…” Après une véritable introspection, il choisit de s’intéresser à des sociétés à reprendre. Un de ses amis, responsable du marketing d’un grand manufacturier, l’alerte alors sur une de ses connaissances, qui cherche à passer la main pour sa “petite” entreprise de commerce de pièces détachées de voitures anciennes, 2 CV Citroën en tête. Serge Dumonteil rencontre alors Samuel Adida, “Sam”, sans conviction, et pourtant, cette entreprise va sceller son avenir…

Le marketeur devient piéçard

ADI Auto est une petite structure montée treize années auparavant au cœur de Boulogne-Billancourt, dans des bureaux exigus, sombres et totalement inadaptés à l’activité de commerce de pièces détachées. A première vue, la mariée ne semble pas apprêtée de ses meilleurs atours… Pourtant, au regard des premiers bilans, l’histoire se révèle tout autre. “Quand on ne connaît pas le milieu de la voiture ancienne, on n’imagine pas ce que cela représente. Et en voyant les chiffres, j’ai commencé à comprendre que l’affaire était belle”, reconnaît aujourd’hui Serge Dumonteil.

D’autant que ce projet colle parfaitement à ses attentes. L’activité lui plaît, il la connaît, l’entreprise est basée en région parisienne, dans ses moyens, et ne présente pas trop de personnel, ce qui permet de ne pas alourdir la reprise. Surtout, l’activité d’ADI Auto touche à la passion. “Après dix-huit années de carrière chez des généralistes ou des constructeurs plus élitistes, l’expérience m’a appris que le plaisir était essentiel. Quand je croise aujourd’hui des cadres de ces prestigieuses marques, je constate que la pression terrible qu’ils subissent leur soustrait tout plaisir. D’autant qu’ils la transmettent souvent à leurs interlocuteurs du réseau. Moi, j’adorais grandir, progresser, au côté des entrepreneurs, c’est-à-dire des concessionnaires. Après tout, ce sont eux qui investissent leurs deniers dans le succès d’une marque. C’est aussi pour toutes ces raisons que le monde des constructeurs n’était plus le mien, je n’y trouvais plus ma place.”

Le temps de l’entrepreneuriat

Après la première rencontre, en juin 2009, d’âpres négociations s’ensuivent, la vente se concluant définitivement le 10 mars 2010. Sam accompagne alors son repreneur pendant six mois, avant de le laisser voler de ses propres ailes. Une période d’adaptation salutaire, car lorsqu’il plonge le nez dans l’organisation d’ADI Auto, Serge Dumonteil prend peur ! Comment peut-on dégager de tels bénéfices avec une organisation pareille ?

Le fondateur avait monté la structure sur un positionnement simple, consistant à trouver ce que les autres ne trouvaient pas, faisant preuve d’opportunisme dans ses opérations de négoce de pièces auto. Concrètement, pour parvenir à satisfaire la clientèle, il s’agissait de retrouver et racheter d’anciens stocks, par exemple, ou bien de faire refabriquer. Imaginez donc la forme que pouvait prendre un pseudo-catalogue historique de 50 000 pièces, sachant que seules 22 000 ont tourné sur les quatre dernières années, avec des rotations principales sur 2 000 pièces au maximum ! D’innombrables chevauchements subsistaient entre les offres des différents fournisseurs, car le nettoyage et la rationalisation de la base n’avaient pas été faits au fur et à mesure. “Sam avait tout en tête, de la référence à l’emplacement de rangement de telle ou telle pièce, mais rien n’était structuré, l’activité était impossible à transposer pour quelqu’un d’autre ! Il me fallait donc constituer de toutes pièces une nouvelle base de données, construire les référencements… Un chantier colossal, qui, aujourd’hui encore, demande beaucoup de temps. Je pense que mon futur catalogue n’intégrera pas plus de 4 000 pièces, in fine”, espère le repreneur.

L’heure du développement

Fort de ces premiers aménagements, Serge Dumonteil prend ses marques et, sur sa première année pleine après la reprise, ADI Auto enregistre un CA de 1,6 million d’euros, soit 400 000 euros de mieux que le dernier exercice de son prédécesseur. “Nous avons récupéré de gros clients, mais j’admets que le marché s’est bien tenu, et a peu souffert de la crise”, tempère-t-il avec humilité.

Du coup, pas question d’attendre pour passer à la vitesse supérieure. L’année 2012 sera celle de la mise en place de nouveaux outils, destinés à développer la structure. A savoir de nouveaux locaux, plus spacieux, mieux organisés, et situés en région lyonnaise. Et puis, bien sûr, la mise en place d’un catalogue, avec un site Internet support, pour les clients professionnels de l’entreprise.

La révolution est prévue pour le mois d’août, l’objectif étant de disposer d’un stock d’environ 300 à 500 m2, non pas pour entasser à outrance, mais juste pour une meilleure organisation. Ainsi, le stockage supplémentaire servira surtout à mieux travailler les pièces volumineuses (carrosserie, échappements) ou bien à s’engager sur de plus gros achats et offrir de meilleures conditions aux clients. Mais Serge Dumonteil confie également vouloir se diversifier. “Notre cœur de cible, basé sur la 2 CV et ses dérivées, commence à se montrer très concurrencé. Donc, je souhaite me développer sur d’autres véhicules populaires, au rang desquels la Renault 4 ou la R8. Et je n’exclus pas d’aller proposer mes services à certains constructeurs, pour leur trouver des pièces d’anciennes voitures.”

Dans le même temps, Serge Dumonteil lancera également son site Internet, affichant l’ensemble de son offre. “Aujourd’hui, je prends les commandes par téléphone, puisque personne n’utilise de références. Et je ne peux pas leur en vouloir ! J’ai donc plusieurs heures de travail par colis. Grâce au nouveau référencement, visible sur le site, les clients sauront précisément ce que je peux avoir et passeront des commandes finalisées, utilisables directement”, prévoit-il.

Sans oublier le développement de la clientèle étrangère, qui représente déjà 30 % du business de Serge Dumonteil et fait encore des appels du pied à la PME française. Gageons qu’à partir du mois d’août, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, férus de vieilles françaises, multiplieront leurs commandes… Les objectifs sont clairs : passer à 3 millions d’euros de CA d’ici cinq ans. Une taille critique nécessaire pour pouvoir développer de nouveaux outillages de refabrication, par exemple, qui coûtent très cher.
Bref, vous l’aurez compris, l’avenir s’annonce plutôt radieux pour ADI Auto. “Une boîte qui tourne, sur un marché de niche, avec des bonnes marges, je suis un homme heureux, je regrette de ne pas l’avoir fait plus tôt. Ici, je sais pourquoi je reste jusqu’à 20 heures, pourquoi je reviens travailler le dimanche…”, conclut notre homme, qui nous quitte rapidement pour aller préparer une commande urgente pour la Grèce.
 

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